La société civile immobilière, un instrument d’optimisation de la gestion et de la transmission du patrimoine immobilier locatif

Considérée comme le parent pauvre du Droit des sociétés en termes de réformes majeures et de vulgarisation, la société civile demeure malgré tout, en raison de la grande liberté contractuelle qu’elle offre en matière statutaire, un excellent instrument d’optimisation de la gestion et de la transmission du patrimoine immobilier. Pour les particuliers comme pour les entreprises, le recours à la SCI présente de nombreux avantages juridiques et fiscaux que nous nous proposons de mettre en lumière dans le cadre de cet article.

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Il faut toutefois préciser que la SCI n’existe pas en tant que forme juridique, il s’agit d’une société civile dans laquelle les associés ont volontairement fait le choix de limiter l’objet social aux activités immobilières. Elle est régie par les articles 765 à 810 du COCC[1] (abstraction faite des sociétés civiles professionnelles).

Ses principales caractéristiques sont les suivantes :

C’est une société fermée ou l’on tient compte de la personnalité des associés (intuitu personae)
Ces derniers sont tenus conjointement du passif social pour une somme et une part égale, sans tenir compte du montant de leur apport (art. 768 COCC)
L’ordre public du Droit des sociétés y est moins contraignant par opposition aux sociétés commerciales (même si la S.A.S nous conduit aujourd’hui à tempérer ces affirmations), ce qui autorise la rédaction de statuts sur mesure tenant compte de la variété des objectifs patrimoniaux de ses associés. Les seules limites ont trait à l’interdiction du partage léonin des bénéfices sociaux et à la perpétuité des restrictions aux droits des associés.

I) La SCI: instrument d’optimisation juridique de la gestion et de la transmission du patrimoine immobilier

A) Optimisation juridique de la gestion du patrimoine immobilier :

Pour saisir l’intérêt de la SCI dans la gestion du patrimoine immobilier, il faut la comparer avec la détention directe de l’immeuble.

La SCI réduit les contraintes de l’indivision[2]
En matière d’indivision, l’accomplissement d’actes de disposition (Ex : vente) portant sur l’ensemble des biens indivis nécessite une décision unanime des coindivisaires ou une majorité en nombre et en parts si la cession porte sur un des biens. En revanche, dans le cadre d’une SCI, une majorité simple (51%) suffit pour rendre l’acte valable.
La SCI stabilise mieux le droit de propriété que la détention directe d’un immeuble en indivision.
Dans ce 2ème cas de figure, l’exercice du droit de partage que possède chaque indivisaire a pour effet de fragiliser le maintien de l’immeuble dans le giron familial (sauf cas d’attribution préférentielle ou éliminatoire ). Par contre en cas de détention sous le couvert d’une SCI, la sortie d’un associé se réalise sans conséquence sur la propriété de l’immeuble: il cède sa part et non l’immeuble.
La SCI permet de protéger le patrimoine immobilier professionnel d’une entreprise contre la poursuite des créanciers sociaux.
Il suffit de loger les immeubles dans une SCI et l’entreprise dans une société commerciale (S.A, S.A.S, SARL…) en prévoyant un contrat de bail entre les deux.

B) Optimisation juridique de la transmission du patrimoine immobilier:

En matière de transmission de patrimoine immobilier et même de patrimoine tout court, au-delà des questions juridiques et fiscales, les problématiques financières et sociales occupent une bonne place.
Le titulaire du patrimoine adopte le plus souvent l’une des 3 attitudes :

  1. Gérer seul son patrimoine jusqu’à la fin de sa vie en laissant le soin aux règles de dévolution légale (Droit moderne ou Droit musulman) d’organiser la succession avec tout ce que cela induit en termes de conflits entre héritiers pour des raisons liées à la gestion de l’indivision et au partage. C’est le cas dominant au Sénégal ;
  2. Anticiper la transmission en procédant à une donation-partage avec à la clé le risque de se priver des revenus du patrimoine immobilier et de transférer la propriété et la gestion à des enfants souvent trop jeunes ou sans réelles compétences en matière de gestion ;
  3. Anticiper la transmission en faisant un testament qui prendra effet au décès du propriétaire avec le risque d’allotir des immeubles de valeur et de rendement locatif différent entre plusieurs héritiers ;

Face à ces situations, le recours à la SCI couplée aux techniques du démembrement de propriété pourrait-être particulièrement intéressant. Pour s’en convaincre, il convient de lister ces quelques avantages :

La SCI permet de transformer des biens immeubles de valeur et de rendement locatif différent en des biens meubles
(parts sociales) parfaitement homogènes et respectant le principe d’égalité entre héritiers. Elle a donc le mérite de résoudre la sempiternelle question de l’allotissement d’immeubles de valeurs inégales entre plusieurs héritiers, mais également d’éviter que certains héritiers ne reçoivent, quand bien même le partage serait juridiquement équitable, un ou des immeubles au rendement locatif faible.
La SCI permet de dissocier le pouvoir de la propriété à travers une habille rédaction des statuts.
L’élasticité du Droit civil, conférée par la liberté contractuelle et par le silence des textes relatifs à la société civile, permet la création de parts sociales catégorielles à l’instar des actions de préférence (sociétés commerciales). Le donateur peut conserver tous les pouvoirs de gestion de la SCI, sa vie durant, tout en transférant, soit la pleine propriété des parts sociales si cela lui convient, soit la propriété démembrée des parts s’il entend conserver les revenus locatifs. Pour cela, il lui suffit de se rapprocher d’un notaire expérimenté pour la rédaction des statuts.
La détention des immeubles d’une entreprise commerciale dans une SCI a pour effet d’optimiser la transmission à titre onéreux comme à titre gratuit du patrimoine professionnel.
L’inscription d’un immeuble au bilan d’une entreprise commerciale a pour conséquence de renchérir le coût de la cession de l’entreprise alors que le repreneur n’est intéressé, dans bien des cas, que par la rentabilité de l’exploitation (il lui suffit d’un contrat de bail et non d’un titre de propriété pour avoir le même résultat). Au plan successoral, pour réduire le montant de la soulte qu’un héritier pressenti pour la reprise de l’entreprise commerciale devra verser aux héritiers non repreneurs, il suffit, entre autres stratégies, de loger les immeubles dans une SCI dont les parts sociales seront attribuées à ces derniers, au moment où les parts ou actions de la société d’exploitation font l’objet d’une donation à l’héritier repreneur.

II) La SCI: instrument d’optimisation fiscale de la gestion et de la transmission d’un patrimoine immobilier

Avant la réforme fiscale du 27 décembre 2012 portant CGI, la SCI, en tant que société translucide, était soumise de plein droit à l’IR. Désormais l’option à l’IS lui est ouverte (Art. 4 III 1 CGI), ce qui a pour effet d’élargir le champ des possibles en matière d’optimisation fiscale. Il convient donc de comparer le régime d’imposition d’une SCI soumise à l’IR (A) et celui d’une SCI soumise à l’IS (B). Nous analyserons enfin l’impact du recours à la SCI en matière de droits de mutation à titre onéreux et à titre gratuit (C).

A) Régime d’imposition des revenus d’une SCI soumise à l’IR

  1. Principes généraux d’imposition des revenus provenant de la SCI
    Le résultat est déterminé au niveau de la société, mais imposé entre les mains des associés qu’il soit distribué, mis en réserve ou reporté à nouveau: c’est le régime de la translucidité fiscale. Ce régime est souvent pénalisant lorsque les immeubles ont été acquis par crédit bancaire. Les associés risquant de payer l’IR sur des revenus qu’ils ne perçoivent pas parce que destinés en bonne partie au remboursement de l’emprunt.
  2. Tenir compte de la qualité de l’associé au moment de déterminer le revenu imposable (Art. 64 CGI).
    Lorsque les associés ne relèvent pas tous du même régime d’imposition relativement à leurs revenus, la détermination du résultat doit se faire conformément aux règles qui leur sont spécifiques :

    • Parts sociales détenues par un particulier dans son patrimoine privé ou un professionnel soumis aux BNC = régime des revenus fonciers
    • Parts sociales détenues par une entreprise soumise aux BIC ou à l’IS = régime des BIC….
  3. Traitement des frais financiers (commissions et intérêts d’emprunts)
    • L’associé peut déduire de ses bénéfices sociaux les frais financiers supportés à l’occasion de l’acquisition de ses parts sociales à crédit ou relatifs à son apport en compte courant ayant permis l’acquisition de l’immeuble (SCI/IR);
    • L’associé peut déduire de ses bénéfices sociaux, sa quote part des intérêts financiers relatifs à un emprunt souscrit par la SCI pour la conservation, la construction, la réparation et l’entretien de l’immeuble appartenant à la société.
    • Toutefois les intérêts versés aux associés au titre de leur apport en compte courant sont imposables au titre des revenus de capitaux mobiliers.
  4. Détention d’un immeuble par une SCI et démembrement des parts sociales
    • L’usufruitier est redevable de l’impôt sur les revenus fonciers (Art. 51 CGI)
    • Sauf convention contraire conclue avec l’usufruitier, le nu-propriétaire est redevable de l’impôt au titre des plus-values de cession des immeubles dès lorsqu’il est considéré comme associé ;
    • Les déficits de la SCI reviennent de droit au nu-propriétaire qui en tant qu’associé doit répondre des dettes sociales.

B) Régime d’imposition des revenus d’une SCI soumise à l’IS[4]

Passible de l’IS dans 2 cas:

  • de plein droit en cas d’exploitation commerciale ou assimilée
  • Sur option volontaire (Art. 4 III 1 CGI)
  1. Détermination des revenus locatifs de la SCI/IS
    • Détermination en application des règles concernant les BIC
  2. Imposition des revenus locatifs
    • Taux de 30%
      Ce taux est plus intéressant que le taux marginal d’imposition qui peut atteindre 40% en matière d’IR, sans compter que la base imposable est moins importante en matière d’IS si l’on tient compte des amortissements et de la déductibilité de certaines charges (frais de notaire, frais d’agence engagés lors de l’acquisition de l’immeuble) qui ne sont pas admises en déduction dans le régime des revenus fonciers.
  3. Gestion fiscale des revenus des associés
    • A la différence de la SCI/IR dans laquelle les bénéfices simplement constatés sont imposés entre les mains des associés, dans la SCI/IS seuls les bénéfices distribués aux associés et les rémunérations des gérants associés sont imposées.
    • La SCI peut mettre en réserve tout ou partie de ses bénéfices. De ce fait les associés pourront les récupérer sous forme de plus-values lors de la cession de leurs parts.

C) Transfert de la propriété de l’immeuble sous le couvert de la SCI

  1. Avantages de la SCI en matière de Droits de Mutation à Titre Onéreux (DMTO)
    Il suffit de comparer les DMTO applicables à la cession de l’immeuble et ceux applicables à la cession des parts sociales de la SCI

    • Pour l’immeuble, les DMTO sont prélevés au taux de 5% de la valeur exprimée et des charges en capital
    • Pour les parts de SCI les DMTO sont aussi prélevés au taux de 5%, mais l’assiette n’est constituée que de l’actif net. Le passif y compris donc le crédit restant dû et ayant servi à l’acquisition de l’immeuble n’est pas pris en compte.En revanche pour la vente d’un immeuble acquis sur la base d’un crédit partiellement remboursé, si le nouvel acquéreur entend prendre pour son compte le remboursement du reliquat, le solde restant dû sera considéré comme une charge augmentative qui vient donc s’ajouter à la valeur exprimée de l’immeuble. Sous ce rapport la cession sous le couvert d’une SCI est moins onéreuse pour l’acquéreur.
  2. Avantages de la SCI en matière de Droits de Mutation à Titre Gratuit (DMTG)
    • Déduction des dettes de l’assiette des DMTG comme pour les DMTO ;
    • La valeur vénale de l’immeuble détenu en directe est toujours supérieure à la valeur de l’immeuble ramenée au nombre de parts sociales. Il est donc généralement toléré par l’administration fiscale (en tout cas en France) l’application d’une décote pour illiquidité des titres liée à une absence de marché, mais aussi en raison du caractère fermé de ce type de société.
      Comme nous venons de le voir, la SCI comporte de nombreux avantages par rapport à la détention directe de l’immeuble. Elle permet notamment d’optimiser l’organisation, la protection, la gestion et la transmission du patrimoine immobilier locatif.Cependant les acteurs de l’immobilier ne doivent pas perdre de vue que les chemins de l’optimisation sont souvent pavés de risques aux conséquences financières graves. Figurent en bonne place les risques fiscaux et juridiques. Bon nombre de montages faisant recours à la SCI, couplée aux techniques du démembrement de propriété ou aux libéralités (donations) sont souvent remis en cause par l’administration qui y voit un moyen d’éluder tout ou partie de l’impôt (réduction d’assiette fiscale, effacement de plus-values…) et n’hésite pas par voie de conséquence à mettre en branle la redoutable procédure de l’abus de droit pour fictivité de la SCI.[5] Sur le plan juridique cette fictivité peut également servir de base à l’extension de procédures collectives d’apurement du passif d’une société commerciale vers une SCI en cas de confusion de patrimoines entre les deux personnes morales ayant des dirigeants communs[6].Nous finirons en donnant quels que conseils :

      • Eviter les montages ayant un but exclusivement fiscal ;
      • Respecter le formalisme du Droit des sociétés en tenant les assemblées générales d’associés régulièrement,

[1] Code des Obligations Civiles et Commerciales

[2] Situation de deux ou plusieurs personnes qui exercent des droits de même nature sur un même bien. Exemple : des cohéritiers sur un immeuble n’ayant pas encore fait l’objet d’un partage.

[3] Situation ou l’immeuble est attribué à l’un des héritiers à charge pour lui de verser une soulte aux autres ayants droits. L’attribution éliminatoire signifie que désintéressement du ou des cohéritiers qui ne veulent pas demeurer dans l’indivision.

[4] Considérant le caractère récent de la réforme fiscale de 2012 se traduisant par la rareté de la doctrine administrative interne, certaines solutions sont inspirées de la doctrine française inscrite au BOFIP.

[5] Cass. com. 13-1-2009 n° 07-20.097 : RJF 5/09 n° 518

[6] Cass. com. 23-01-1996 n° 93-14.684 : Bull. Joly 1996 p. 317 ; Cass. com. 19-11-2003 n° 00-21.027 : RJDA 2/04 n° 184 ; Cass. com. 13-11-2002 n° 1862 : RJDA 2/03 n° 151

Par Ibrahima DIALLO
Ingénieur Patrimonial
Directeur – associé CGP AFRIQUE

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