Optimiser la transmission de votre patrimoine grâce à l’assurance-vie
En Afrique sub-saharienne, l’assurance vie est en passe de devenir un outil incontournable de gestion de patrimoine, comme en atteste les statistiques récentes de la Fédération des sociétés d’assurances de Droit national africaines (FANAF), qui montrent que la collecte des primes directes en assurance-vie a progressivement évolué entre 2010 et 2014 pour passer de 199.9 milliards à 283.7 milliards de FCFA.
C’est dire que même si l’assurance-vie n’est pas encore le produit de placement préféré des africains, elle occupe de plus en plus une place importante dans le patrimoine des ménages grâce à une offre commerciale attractive mise en œuvre depuis quelques années par les compagnies d’assurance-vie et de capitalisation.
Dans un tel contexte, s’il est important de sensibiliser la clientèle sur les avantages financiers et fiscaux d’un tel produit (sport favori des assureurs), il l’est tout autant d’attirer leur attention sur les nombreux intérêts civils (juridiques) qu’offre un tel actif notamment en matière de transmission de patrimoine.
Ces avantages se manifestent à travers le principe d’exclusion de la garantie de l’assurance vie de l’actif successoral (I), même si certaines limites, difficile à appréhender, sont parfois apportées par le législateur (II).
I) Le principe d'exclusion de l'assurance-vie de l'actif successoral
L’assurance-vie « en cas de décès » repose sur le mécanisme juridique de la stipulation pour autrui, qui permet au (bénéficiaire) désigné de recueillir directement dans son patrimoine la garantie versée par l’assureur (le promettant) sur demande du souscripteur (le stipulant).
En vérité le droit du bénéficiaire est un droit propre, qui prend naissance directement dans son patrimoine depuis le jour de la souscription et non un droit transmis. Les législateurs communautaire (code CIMA[1]) et sénégalais (COCC[2]) en ont donc tiré toutes les conséquences en prévoyant que : « le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l’assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l’assuré »[3]. L’article 732 du COCC suit la même logique en disposant que : …les sommes payables au décès de l’assuré à un bénéficiaire déterminé ne sont soumises ni aux règles du rapport à succession ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers de l’assuré… »
Pour mémoire, la réserve est la part des biens et des droits successoraux dont la loi assure la transmission libre de charges à certains héritiers (les enfants, conjoint…).
Rappelons par ailleurs que la réduction oblige les bénéficiaires des libéralités (donations, legs) excédant la quotité disponible générale (1/3 du patrimoine, art. 504 CF) à restituer le trop-perçu aux héritiers réservataires, et ne joue donc que dans la mesure nécessaire au rétablissement de la réserve héréditaire (2/3 du patrimoine). Cette technique ne joue évidemment qu’en présence d’un héritier réservataire.
Le rapport, lui, a pour finalité d’assurer l’égalité des héritiers ; il oblige le copartageant à réintégrer la totalité de la libéralité qui lui a été faite. La règle cependant n‘est pas d‘ordre public, le donateur peut expressément en dispenser les bénéficiaires dans la limite de la quotité disponible.
Il est donc tout à fait possible grâce à l’assurance-vie de gratifier une personne déterminée au-delà de la quotité disponible (conjoint, enfants, autres proches et même des tiers) en s’affranchissant des contraintes liées à l’institution de la réserve héréditaire, à condition de de respecter certaines limites.
II) Les limites de l’exclusion de l’assurance-vie de l’actif successoral
L’exclusion de la réduction et du rapport serait sans efficacité si elle ne s’étendait pas aux primes versées par le souscripteur. C’est pourquoi l’alinéa 3 de l’article 732 du COCC prévoit que la réduction et le rapport « ne s’appliquent pas non plus aux sommes versées par l’assuré à titre de primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés ».
Cependant comme nous pouvons le constater, cette disposition apporte un tempérament au principe de l’exclusion de la succession de l’assuré, des primes versées par le souscripteur.
Les primes sont donc réductibles et rapportables si elles sont manifestement exagérées compte tenu des facultés du souscripteur. La notion de primes manifestement exagérées a donné lieu à une jurisprudence abondante puisqu’il fallait en dresser les contours.
Les cours et tribunaux retiennent trois critères pour apprécier le caractère exagéré d’une prime :
1) L’importance de la prime par rapport aux facultés du souscripteur
Les facultés doivent s’entendre de l’ensemble des éléments actifs se trouvant dans le patrimoine du souscripteur[4]. Toutefois, ni le législateur, ni la jurisprudence n’ont fixé un montant au-delà duquel la prime serait considérée comme exagérée. Assez souvent, il s’agit pour les juges de comparer la prime avec les revenus du souscripteur, ce qui est réducteur dans la mesure ou les facultés englobent plus que les revenus.
2) L’absence d’utilité de l’opération pour le souscripteur
L’utilité du contrat pour le souscripteur se mesure généralement à l’aune de son âge et de son état de santé. Certains arrêts prévoient qu’une prime versée par une personne à la fois âgée et gravement malade traduit plus une donation déguisée qu’une opération d’assurance [5]. L’importance de la prime ne suffit donc pas seule à établir son caractère exagéré, il faut également que l’opération soit inutile pour le souscripteur. Or comme le soutient le Pr Aulagnier, il suffit que le souscripteur exerce sa faculté de rachat ne serait-ce qu’une seule fois pour que le contrat soit utile pour lui d’un point de vue économique. Ce qui fait qu’en pratique, il est difficile de remettre en cause l’attribution d’une garantie à un bénéficiaire par les héritiers de l’assuré.
3) Les mobiles de la souscription
Le 3ème critère est relatif aux motivations du souscripteur. Dans un arrêt, bien que le montant de la prime ait été supérieur à l’actif patrimonial du souscripteur, les juges ont estimé qu’elle était justifiée en raison des services rendus par le bénéficiaire[6], donc non rapportable, ni réductible.
Compte tenu du relativisme de ces critères, le caractère exagéré de la prime est donc un élément assez difficile à prouver. C’est pourquoi il est communément admis qu’avec l’assurance-vie, le souscripteur peut gratifier un bénéficiaire au-delà de quotité disponible.
En tout état de cause, nous recommandons vivement aux souscripteurs qui veulent transmettre une partie de leur patrimoine par canal de l’assurance-vie de recourir à l’assistance d’un professionnel (gestionnaires de patrimoine, notaires, assureurs, avocats) pour éviter que leur planification successorale ne soit remise en cause post-mortem par les héritiers.
[1] Conférence Interafricaine des Marchés d’assurances. Organisation supranationale à vocation juridique regroupant 14 Etats-membres de l’Afrique de l’ouest et du centre.
[2] Code des Obligations Civiles et Commerciales du Sénégal.
[3] Article 71 CIMA
[4] Cour d’appel, 05 avril 2001- juris-data N°14491
[5] Cass. Civ ; 2ème, 10 avr. 2008, n° 06-16725, JurisData n° 2008-043510 sur cette notion, S. Hovasse, Utilité de la souscription, JCP, N, I, 2008, 1234 – Cass. 2e civ. 5 juill. 2006 n° 05-13.803 ; Cass. 1re civ. 4 juill. 2007 n° 06-14048
[6] Versailles, 16 Novembre 1995
Directeur – associé CGP AFRIQUE
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