Stratégie patrimoniale du chef d’entreprise :Séparation de l’immobilier d’entreprise de l’exploitation
Pour réaliser un investissement immobilier en lien avec ses activités professionnelles, un chef d’entreprise a le choix entre la création d’une entité juridique indépendante détenant l’immeuble ou l’inscription de celui-ci au bilan de l’entreprise. Dans la grande majorité des cas l’acquisition de l’immeuble par l’entreprise est une décision somme toute naturelle. Mais au-delà des options professionnelles, le chef d’entreprise devrait aussi pouvoir inscrire sa démarche dans une optique patrimoniale en optimisant les modes de détention de son patrimoine.
Notre propos est d’insister sur les nombreux intérêts patrimoniaux que lui offre ce montage tout en attirant son attention sur les risques qu’il peut présenter si l’opération n’est pas réalisée avec un minimum de précautions.
I) Le montage SCI – Société d’exploitation
La physionomie du montage diffère selon que l’entreprise est constituée sous la forme juridique d’une entreprise individuelle (A) ou sous celle d’une entreprise sociétaire (B).
1) Le montage en présence d’une entreprise individuelle
Les étapes du montage peuvent-être décrites comme suit :
– apport du fonds de commerce à une société de type commercial : il peut s’agir d’une SARL, d’une SAS, d’une SA…
– création d’une SCI ad ’hoc devant acquérir l’immeuble : cette forme juridique est de loin la plus répandue pour des raisons juridiques et fiscales, mais rien n’interdit de faire apport de l’immeuble à une société commerciale.
– mise en place d’un bail commercial entre les deux entités, la société d’exploitation devenant locataire, la SCI, bailleresse.
2) Le montage en présence d’une entreprise sociétaire
Le montage est plus simplifié et moins onéreux que dans le précédent cas étant donné que le chef d’entreprise exerce déjà ses activités dans le cadre d’une structure sociétaire. Il s’agira de :
- Constituer une SCI pour procéder à l’acquisition de l’immeuble par ce moyen ;
- Mettre en place un contrat de bail commercial entre la SCI, bailleur et la société d’exploitation, locataire.
II) Quel est l’intérêt de séparer l’immobilier de l’exploitation ?
1) Protéger l’immeuble du risque d’exploitation
La SCI est une entité autonome par rapport à la société d’exploitation. Les actifs intégrés dans une SCI sont en principe à l’abri de la poursuite des créanciers sociaux en cas de procédures collectives concernant la société d’exploitation. Cependant cette protection n’est pas absolue. En effet, en cas de confusion de patrimoine pouvant ressortir d’un faisceau d’indices : identité de dirigeants, de siége social, de salariés ; de loyer anormalement bas, ou de loyers excessifs (Cass. com. 13-11-2002 n° 1862 : RJDA 2/03 n° 151 ), de non recouvrement des créances locatives (Cass. com. 19-11-2003 n° 00-21.027 : RJDA 2/04 n° 184), une procédure collective ouverte à l’encontre de la société d’exploitation peut être étendue à la SCI en vertu des dispositions de l’article 189 de l’AUPCAP (OHADA), s’il est établi que la SCI a disposé des biens ou du crédit de la société d’exploitation comme ses biens propres.
2) Optimiser la transmission d’une entreprise familiale
L’entreprise est très souvent l’actif le plus important du patrimoine du chef d’entreprise. Dans l’optique de sa transmission à (aux) l’héritier(s) pressenti(s) pour reprendre les rênes de l’entreprise, il peut s’avérer difficile de constituer des lots homogènes et équilibrés entre les héritiers repreneurs et les autres qui ne souhaitent pas poursuivre l’aventure sociale.
La séparation de l’immobilier de la société d’exploitation aura pour effet de diminuer la valeur de l’entreprise et donc de l’indemnité compensatoire (soulte) que les héritiers repreneurs devront verser aux héritiers non-repreneurs.
Le chef d’entreprise pourra donc dans la foulée faire une donation simple ou avec réserve d’usufruit, selon ses besoins, des titres sociaux de la société d’exploitation à (aux) l’héritier (s) repreneur (s) et ceux de la SCI aux héritiers non repreneurs.
3) Optimiser la vente de l’entreprise
L’une des conditions de rachat d’une entreprise est sa rentabilité. Celle-ci peut être obtenue que l’entreprise soit propriétaire ou simple locataire des locaux professionnels. Lorsque le repreneur estime que ces locaux ne sont pas adaptés à son activité, les parties pourraient convenir de limiter le périmètre de la reprise à l’entreprise d’exploitation sans les locaux.
4) Faciliter le financement de la reprise
Cette séparation de l’immobilier de l’exploitation peut également faciliter le financement de la reprise d’entreprise au cas où le repreneur ne disposerait pas des fonds nécessaires pour acquérir l’entreprise, la sortie de l’immobilier ayant pour effet de diminuer mécaniquement la valeur de l’entreprise.
En outre dans l’hypothèse d’une inscription de l’immeuble au bilan de l’entreprise, sa valorisation peut ne pas être à l’avantage du cédant puisque le repreneur se basera sur les amortissements déjà pratiqués pour négocier à la baisse le prix de cession.
Il s’agit là de quels que intérêts qui pourraient justifier dès l’acquisition de l’immeuble de le loger dans une entité indépendante de la société d’exploitation.
Nous reviendrons dans un prochain post sur les techniques de séparation de l’immobilier et de l’exploitation au cas où l’immeuble serait déjà inscrit au bilan de l’entreprise.
III) Quels sont les écueils à éviter lors du montage
1) La confusion de patrimoines
Le montage concerne dans la plupart des cas deux sociétés ayant une identité d’associés, de dirigeants, de salariés, de siége social… Ces faisceaux d’indices couplés avec un loyer anormalement bas ou excessif, à un défaut de comptabilité distincte, à des sûretés consenties par la SCI pour garantir les engagements de la société d’exploitation ou vice versa, pourraient justifier une extension des procédures collectives en direction de la SCI en cas de procédures collectives touchant la société d’exploitation. La prudence recommande donc de :
- Fixer un loyer conforme à ceux pratiqués sur le marché pour des biens présentant les mêmes caractéristiques ;
- Eviter les garanties par une société au profit de l’autre ;
- Exercer les voies de recours en matière de recouvrement en cas de loyers impayés.
2) Le non-respect de la procédure dite des « conventions réglementées »
Lorsque les deux entités contractantes ont des intérêts liés à travers une identité de dirigeants et/ou d’associés, il est fort à craindre que le contrat soit déséquilibré au détriment de l’une des parties. Afin de prévenir les éventuels abus, le législateur de l’OHADA soumet ces types de conventions à la procédure dite des « conventions réglementées » prévues aux articles 350 à 355 pour les SARL et 438 à 450 pour les S.A, de l’AUDSC-GIE. Il s’agit d’un contrôle à priori ou à postériori pour s’assurer que l’intérêt social est bien préservé, faute de quoi la convention est frappée de nullité ou déclarée inopposable à la société, sans préjudice d’une action en responsabilité contre les dirigeants qui n’auraient pas respecté cette procédure.
Si une telle procédure est prévue pour les sociétés commerciales à travers les dispositions précitées, aucun dispositif similaire n’est en revanche prévu pour les sociétés civiles, notamment au Sénégal.
Nous reviendrons dans un prochain post sur les techniques de séparation de l’immobilier et de l’exploitation au cas où l’immeuble serait déjà inscrit au bilan de l’entreprise.
Ibrahima DIALLO
Ingénieur Patrimonial
Directeur Général – CGP AFRIQUE
Chargé de cours en Gestion de Patrimoine
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