Les risques juridiques de la transmission impréparée d’une société (partie 2)

Nous abordons ici à la suite de l’article consacré aux conséquences juridiques de la transmission impréparée d’une entreprise individuelle, les risques qui pèsent sur une entreprise exploitée sous forme sociétaire.

A priori, la transmission d’une entreprise détenue sous une forme sociétaire est moins problématique que celle d’une entreprise individuelle dès lors que la disparition du dirigeant-fondateur n’entraine pas, dans bien des cas, la dissolution de la société qui dispose d’une personnalité juridique distincte. Dans les sociétés commerciales des pays membres de l’OHADA, certains motifs juridiques (1) voire factuels (2) peuvent bien être à l’origine de la dissolution de l’entreprise suite au décès de son dirigeant-associé.

Suivant les types de sociétés commerciales prévues par les dispositions de l’AUDSC-GIE de l’OHADA, le décès d’un associé peut entraîner sauf dispositions légales ou statutaires contraires la dissolution de la société. C’est le cas notamment de la :

  • Société en Nom Collectif (SNC) qui aux termes de l’article 290 de l’AUDSC-GIE prend fin par le décès d’un associé, à moins que les statuts ne prévoient la continuation entre les associés survivants ou entre ces derniers et les successeurs de l’associé qui auront été préalablement agréés. Toutefois à défaut d’agrément, les associés survivants devront racheter leurs parts sociales. Pour éviter cette dissolution, à défaut de stipulations statutaires contraires, la SNC peut faire l’objet d’une transformation, soit en Société en Commandite Simple (SCS), en SARL, en SA ou en S.A.S si les conditions exigées pour la constitution de ces sociétés sont remplies.
  • Société en Commandite Simple (SCS), dans ce type de société, l’article 308 de l’AUDSC-GIE prévoit deux hypothèses : celle ou l’associé faisait partie du groupe des associés commandités. Dans ce cas la société survie malgré le décès d’un de ces associés. Si parmi ses héritiers certains sont mineurs, ils devront intégrer la catégorie des commanditaires. La deuxième hypothèse concerne la situation dans laquelle le de cujus était l’unique associé commandité et dans le cas particulier de la présence d’héritiers mineurs. Dans ce cas de figure, l’alinéa 2 de l’art. 308 prévoit, soit le remplacement de l’associé décédé, soit la transformation de la société dans un délai d’un an à compter du décès.
  • SARL, SA, SAS : pour ces types de sociétés, les dispositions de l’AUDSC-GIE ont apporté des solutions plus pragmatiques par rapport au droit français. En effet, depuis la consécration des sociétés unipersonnelles sous la forme de SURL, de SAU ou de SASU, la présence d’un associé unique consécutive au décès d’un associé ou à la cession de droits sociaux, n’est plus un motif de dissolution. La réunion de tous les droits sociaux entre les mains d’un seul associé vaut transformation en SURL, S.A.U ou S.A.S.U.

2. Les situations de fait pouvant entraîner la dissolution de la société

Comme nous venons de le voir, l’imprévoyance du dirigeant associé peut non seulement compromettre les chances de survie de la société après son décès, mais même dans l’hypothèse où ce cap aurait été franchi avec succès, une discorde entre héritiers, comme c’est souvent le cas dans les familles surtout polygamiques, pourrait-être transposée au sein des instances de décisions sociales telles que l’assemblée générale ou le conseil d’administration et empêchant du coup leur bon fonctionnement. C’est ainsi qu’aux termes de l’article 200-5 de l’AUDSC-GIE « la dissolution anticipée de la société peut être prononcée par la juridiction compétente, à la demande d’un associé pour justes motifs, notamment…en cas de mésentente entre associés empêchant le fonctionnement normal de la société ». Cependant pour que le juge prononce la dissolution sur cette base, encore faudrait-il que la mésintelligence entre associés soit effective, insurmontable et non pas potentielle.

Conclusions

A la différence de la transmission d’entreprise à titre onéreux qui a bénéficié de l’apport des textes modernes de l’OHADA, la transmission d’entreprise à titre gratuit semble souffrir de l’obsolescence des textes qui l’encadrent, lesquels sont issus en grande partie du code civil français. Or depuis quelques années, le droit patrimonial de la famille en France s’est inscrit dans une dynamique générale de contractualisation qui a repoussé autant que possible les limites de l’ordre public pour tenir compte de la spécificité de certains actifs dont la transmission s’accommode mal d’une application stricte de certains principes tels que la protection absolue de la réserve héréditaire et l’interdiction des pactes sur successions futures. En effet, autant il est important de préserver les intérêts fondamentaux des héritiers réservataires et d’annihiler les risques d’atteintes possibles à la vie d’une personne dont la succession n’est pas encore ouverte (le votum mortis), autant il est nécessaire de préserver les intérêts catégoriels que porte l’entreprise (intérêts des salariés, de l’entreprise elle-même, de l’Etat, des clients et fournisseurs, de l’économie locale, régionale ou nationale) en anticipant avant le décès de l’entrepreneur une transmission optimisée et apaisée. Conscient de ces enjeux, le législateur français, qui du reste pourrait inspirer son homologue sénégalais, a consacré à travers la réforme des libéralités et des successions entrée en vigueur le 1er janvier 2007, certaines techniques qui n’étaient certes pas réservées exclusivement à la transmission d’entreprise, mais qui lui ont été d’un apport considérable. Des techniques juridiques telles que la donation-partage, la Renonciation Anticipée à l’Action en Réduction (RAAR) et le mandat à effet posthume pourraient permettre d’améliorer significativement les conditions d’une bonne transmission d’entreprise.

Par Ibrahima DIALLO

Ingénieur Patrimonial

Directeur Général CGP AFRIQUE

Chargé de cours en Gestion de patrimoine (ISM)

E-mail : ibrahima.diallo@cgpafrique.com

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